Le Cheetah Room. Sans doute l'endroit à Gotham que je hais et que j'aime le plus en même temps. Je n'ai jamais été capable de ressentir des sentiments totalement tranchés. Il y a eu Andrew, que j'ai aimé et que j'ai hais, et puis il y a eu Samuel, qui me rendait indifférente et qui en même temps me faisait gentiment craquer. Je pensais qu'en l'épousant lui, un adorable pédiatre, il ferait oublier à mon père que je m'étais enfuie avec Andrew. Ce n'avait pas été le cas. Peu de temps après, mon père me reniait et je quittais la Russie. Mon père m'avait aimé, aujourd'hui il ne voulait plus entendre parler de moi. Il vivait de son coté, je vivais du mien. C'était un accord tacite, implicite entre nous. Après quelques temps passés à parcourir l'Amérique du Sud, je m'étais convaincue qu'il ne me faisait pas rechercher et que je pouvais, enfin, prendre le temps de m'installer quelque part. J'avais choisi Gotham. Sans trop savoir pourquoi.

L'endroit où je travaillais n'était pas le pire endroit de la ville. Ce n'était pas le meilleur club non plus. J'y avais mes petites habitudes, maintenant. J'étais là depuis quelques semaines déjà. J'avais retrouvé Feo, j'avais quelques amies au club, et Andrew était revenu dans ma vie. Sans tout bouleverser, nous nous donnions du temps. Je ne voulais pas me remarier. Du moins pas maintenant. Je voulais goûter la liberté, pour une fois être une femme célibataire, indépendante, et fière. Fière d'être tout ça à la fois. Andrew avait fait partie de ma vie durant cinq ans. Et cela en faisait bientôt quatre, qu'il en était sorti. J'étais passée à autre chose, avec Samuel, avec mes chasses en Amérique Latine, avec mon arrivée à Gotham. Il n'y avait pas de place en ce moment pour Andrew. Cela changerait certainement, mais pas maintenant. Derrière moi, je voulais abandonner la Russie. Mon pays, ma terre, mon univers. La mafia ne serait bientôt plus qu'un souvenir, c'était ce à quoi j'aspirais aujourd'hui.

Il était tard. J'avais fini ma soirée. Je pris le temps de plaisanter avec quelques filles qui sortirent par la porte de derrière. Je ne les suivirent pas tout de suite. Un client me retint au bar quelques minutes, je l'envoyais balader. Aucune envie de baiser ce soir. Je portais un mini-short noir et une chemise blanche nouée au-dessus du nombril, mais je ne voulais pas jouer les putes aujourd'hui. Je n'en avais tout simplement pas envie. Il y a des soirs comme ça, ou je voulais seulement sortir, aller m'asseoir sur un toit, regarder la ville en contrebas en fumant clope sur clope toute la nuit. Moi qui ne fumais habituellement jamais. Je quittais le club. Un homme m'attendait dans la ruelle derrière. Un client que j'avais repoussé et qui voulais se venger ? Il n'était pas tombé sur la bonne fille avec moi. Il pointa son revolver sur ma poitrine. Ses paroles m'intriguèrent mais je ne les compris pas. Pas tout de suite.

L'homme tira. Je me maudis de ne pas avoir été assez rapide pour éviter la balle. Quelle balle ? Il n'y en avait pas. L'homme éclata de rire. Un seul éclat. Vif. Net. Tranchant. Glacial... C'est grâce à lui que je reconnus l'homme. Adam. Il retira ses lunettes, me confirmant ce que j'avais pressenti. Un homme de mon père, venu pour me faire peur. Peut-être même pour me tuer. J'avais fui pendant longtemps, mais pas assez visiblement pour semer la Famille. Celle que l'on ne quitte que dans les larmes et dans le sang. De préférence, beaucoup de sang.

Adam jeta son arme. Il s'approcha, me regardant sans me voir. Adam... Cela faisait tellement longtemps ! Je ne savais plus... les souvenirs se bousculaient dans ma tête... son regard d'enfant, déjà lourd, torturé, blessé par la perte de sa famille, si jeune... Je me souvenais d'Adam. Je n'avais jamais vraiment repensé à lui, mais je m'en souvenais comme si nous nous étions quittés hier. Parce que l'on parlait beaucoup de lui dans son dos, et que petite fille j'aimais écouter les ragots. On le disait impitoyable, et totalement dévoué à la Famille. Ma Famille. La notre. Mon père avait confiance en lui, il n'aurait envoyé personne d'autre pour m'abattre. Mon père avait un certain sens de l'humour, j'étais certaine qu'à cette heure, il riait à l'idée que mon bourreau avait été mon ami d'enfance. Parce qu'Adam, même si je l'avais toujours peu connu, avait été un ami pour moi, comme un frère à mes yeux. Un frère qui avait grandi dans le même milieu que le mien, et qui seul pouvait comprendre ce monde de violence et de loyauté si particulière, dans lequel nous avions baignés dès l'enfance. Les autres hommes de mon père avaient rejoint ce monde jeunes adultes, nous, nous étions nés dedans. Nous n'avions jamais eu le choix. Le choix que j'avais pris plus tard de me retirer. Et Adam de rester.

Mais la preuve : on ne se retirait jamais vraiment. Le passé vous rattrapait toujours, un jour. Ou une nuit comme celle-ci. Je sentais le froid d'une lame contre le haut de ma cuisse. Une lame dont je me séparais jamais, même lorsque j'étais si peu vêtue, parce que la sécurité avant tout. J'étais physiquement capable de me défendre sans arme, mais on était jamais trop prudente. Et face à Adam, une douzaine de lames n'auraient pas été de trop ! J'étais douée, je le savais, mais de là à prendre des risques face à un tueur tel que lui... non. Il ne me battrait pas facilement, et peut-être même serait-ce moi qui sortirais gagnante d'un combat entre nous, seulement je préférais ne pas essayer d'avoir la réponse.

Il souriait. Alors qu'il m'avait tiré dessus quelques secondes plus tôt. Et que sa voix était chargée d'une émotion que je n'identifiais pas, une émotion incroyablement forte. Quelque chose en lui me bouleversa. Je n'aurais su dire quoi. Je sortis une cigarette de la poche arrière de mon short, mais je ne l'allumais pas. En fait, je n'aimais pas trop fumer. Je la coinçais sur mon oreille, en profitant pour ramener une mèche de cheveux en arrière.

Moi je trouve que tu as changé, Adam. finis-je par dire

Je lui adressais un sourire, moi-aussi. Mais alors que le sien était calculé, le mien se voulait franc, doux, confiant. A peine séducteur. Je savais d'expérience que ce n'était pas la peine d'essayer de séduire un tueur. En tous cas tant qu'il restait dans l'optique « meurtre », c'était inutile. Pour l'instant, je ne savais pas pourquoi Adam était là. Mon père avait pu l'envoyer, pour me faire passer un message ou me tuer, mais il pouvait aussi être là par hasard, et m'avoir vu dans la salle tout aussi par hasard. Sauf que moi, le hasard, je n'y croyais pas.

Je m'approchais un peu de lui et, sans geste brusque, effleurait ses cheveux sous la capuche de son sweet sombre.

Tu avais les cheveux plus longs à une époque... On avait failli les brûler avec mes bougies d'anniversaire ! Tu te souviens ?

A mon tour de rire. C'était un bon souvenir. J'avais onze ans, nous étions encore deux enfants épargnés par les affres de l'adolescence. Je n'étais pas assez stupide pour croire que cela ferait ressortir chez Adam le tueur, son âme d'enfant.

Tu aimes Gotham, Adam ? demandais-je, pour le prendre au dépourvu alors que mes doigts descendirent lentement pour effleurer sa joue avant de s'éloigner

Je reculais d'un pas, un peu troublée par le contact de sa joue sous mes doigts. Adam était devenu un homme, depuis le temps. Il n'était plus le garçon que j'avais quitté. Petit pincement au cœur.

Moi j'aime cette ville, parce qu'elle ne me connaît encore pas. C'est difficile d'aimer quelqu'un qui nous connaît vraiment bien, depuis longtemps.

Il l'observait sortir sa clope, il ne bougeait pas d'un cil, il la fixait, il attendait qu'elle dise ou fasse quelque chose, il n'avait pas peur d'elle, oui, il la savait redoutable, mais il n'avait pas peur, la mort ne lui faisait pas peur, la mort était sa meilleure amie. Puis elle lui répondait, il eut du mal à garder son sourire lorsqu'elle l'appelait par son prénom. Elle l'avait reconnu, elle se souvenait encore de lui, après tout ce temps. Il était assez surpris il devait l'avouer. Puis elle était l'une des rares à l'appeler Adam, à lui donner son vrai nom, il n'était pas Nemo à ses yeux, il était quelqu'un. Enfin, c'était probablement trop tard pour exister dans ses yeux. Il essayait de s'en convaincre depuis des années, il se disait que c'était ridicule, que ça ne serait ni avec elle, ni avec personne, l'amour n'était pas fait pour lui. Elle lui disait le trouver changer, il ne pensait pas vraiment avoir changé, il avait juste grandit, il était plus mature, et elle était belle, vraiment belle. Mais elle n'avait plus rien de cette princesse russe qu'il avait tellement voulu voir l'épouser, il devait la haïr, il devait la tuer. Il la laissait s'approcher de lui, il se faisait étrangement docile, personne ne l'avait jamais vu faible, pourtant il se sentait si vulnérable quand c'était elle, la retrouver c'était si étrange... Adam laissait la catin toucher ses cheveux sous sa capuche, elle ne montrait aucune agressivité, il la fixait de ses yeux azurs, son sourire mourrait doucement alors qu'elle évoquait un souvenir, il avait toujours détesté les anniversaires, mais pour ceux de Trishka il avait toujours été là... Elle lui demandait s'il se souvenait, il était partagé entre douceur et dégout. Douceur de se souvenir, dégouté d'elle, dégouté qu'elle puisse lui parler aussi simplement d'un passé qui lui faisait tant de bien et de mal à la fois. Adam restait silencieux, il préférait juste ne pas répondre, ne rien dire... Puis il sentait les doigts de la jeune femme glisser sur sa joue, il savait que c'était une fille intelligente, qu'elle tentait de le déstabiliser, mais s'il avait voulu la tuer, il l'aurait fait tout à l'heure... Il voulait s'assurer qu'elle souffre.

Sa question le laissait tout de même perplexe, elle reculait alors, elle reprenait rapidement ses esprits, lui qui était si habitué aux contacts, il en fut assez troublé, il devait la détester. Puis elle poursuivait, il dessinait doucement un sourire sur son visage, oui... Elle ne l'aimait pas, elle connaissait Adam depuis bien longtemps, elle ne l'aimerait jamais, et lui, il ignorait s'il l'aimait encore, c'était une sensation étrange, c'était différent d'autres fois en tout cas... « Ça, je l'avais remarqué. » lâchait-il finalement d'un ton calme, il avait bien comprit tout ça, mais il n'empêchait que ça faisait toujours aussi mal de le savoir. Il ajoutait toujours aussi calmement « L'avantage c'est que je n'existe pour personne. » comment peut-on affirmer une chose pareille ? Adam avait fini par accepter ce fait, il assumait être ce dit Nemo. Il avait même fini par trouver profit de cette situation, il avait appris à ne compter que sur lui, à ne plus s'attacher aux gens, mais à elle, il avait cédé, et il n'arrivait pas à s'en défaire, c'était pire que le sable mouvant, plus il se défendait plus il s'enfonçait. Combien de fois avait-il songeait à lui arracher le coeur pour lui montrer combien le sien en avait souffert ? Mais comment aurait-elle pu le savoir, lui qui était si secret ? Mais il refusait de se remettre en cause.

L'homme souriait alors et s'approchait à son tour de la dangereuse Trishka, il prenait doucement sa main posant ses yeux azurs sur eux, il caressait le dos de sa main du bout des doigts puis entremêlait leur doigt en relevant son regard vers elle « Autant ne pas y aller par quatre chemins... » il fit un dernier pas, son visage était si proche de celui de la jeune femme, il mordait doucement sa lèvre inférieure, jamais il n'avait été aussi peu professionnel... Il posait sa seconde main qui tenait toujours ses lunettes de soleil sur sa hanche et l'attirait contre lui avec douceur il posait sa tête contre celle de la jeune femme, oui... Au fond, il lui avait déjà à moitié pardonné ce qu'elle avait fait, au fond il ne lui voulait pas tout ce mal, mais il n'avait pas le pouvoir de tout effacer, et au fond il aurait toujours cette rancune en lui. Il la serrait doucement dans ses bras, puis il murmurait à son oreille « Ton père m'envoie pour te tuer... Mais... » Adam se sentait si bien là, la prendre dans ses bras simplement. L'homme sentait son odeur, elle sentait tellement bon, cette fille était le diable. Il se décollait enfin, cherchant un air plus sérieux pour poursuivre « Mais en souvenir du bon vieux temps, j'ai décidé de te laisser un handicape même si je ne doute pas que tu sois toujours au niveau. Ce soir, à partir du moment où je m'en irais, regarde-moi comme un ennemi mortel. Ce sera toi ou moi. » Oui, il était en train d'enfreindre les règles, il mettait en garde la jeune femme, il lui disait clairement qu'il reviendrait pour la tuer, pourquoi prendre ce risque ? Adam lui souriait, oui, il ne serait plus que Nemo par la suite à ses yeux, ce tueur qui ne partirait pas de Gotham avant de lui avoir arraché son dernier souffle, ou au contraire, de mourir. Non, il n'avait pas le droit de faire ça, de lui laisser de l'avance, lui qui n'avait même pas encore de plan d'attaque. Qu'importe, il voulait jouer, il songeait que s'il mourrait entre ses mains expertes, ce serait pour lui une véritable joie. Alors, ce soir, le jeu sera lancé, ce sera à qui sera le plus fort, le plus rusé... C'était insensé d'agir comme ça, la mafia n'était pas le genre à prévenir de ses intentions, elle le savait, mais elle devait savoir qu'Adam avait toujours été quelqu'un de différent, il n'avait rien à perdre, il s'en fichait de mourir, de souffrir, il songeait que sa vie était ainsi faite et qu'il devait l'accepter et en profiter autant qu'il le pouvait, s'amuser, et pour lui, ce genre de jeu était un amusement. Cette mission serait peut-être la dernière, son dernier jeu, il voulait que ça soit à la hauteur de sa non existence. Qui cédera avant l'autre ? Il ne perdait jamais, il n'avait pas eu de chance dans la vie, juste le talent.

Oui, ce soir quand il disparaitrait au fond de cette rue, il ne sera plus Adam, il devra mettre de côté la douceur qu'il venait de ressentir à son égard, il devait tout mettre de côté, se canaliser sur sa haine et a cruauté, oui, ce soir, c'était un adieu.

Je le regardais s'approcher de moi. Toucher ma main. S'avancer toujours plus près alors qu'il m'annonçait ce qu'au fond de moi je savais déjà. Mon père. Bien sûr. Je le haissais à cet instant, cet homme qui allait obliger Adam à laisser parler Nemo. Nemo... Pour moi il n'existait pas. Pour moi, il n'y avait qu'Adam. Adam torturé ce soir, tiraillé entre deux personnalités, entre deux sentiments. Sentiments ? Cette loyauté qu'il devait à mon père, et quoi d'autre ? L'amitié ? L'amitié qui avait liée les deux enfants que nous avions été. Et encore, je ne savais pas si Adam avait un jour considéré que j'étais véritablement son amie. Je nous avais toujours pensés proches, mais pas tant que ça dans les faits, en réalité.

Et pourtant ! Pourtant, à voir ainsi Adam, j'avais l'impression de lire en lui. De lire son regard, ses gestes, comme un livre. Adolescente, j'avais entendu beaucoup de gens dire qu'il était étrange, que lorsque Nemo parlait, rien ne pouvait l'arrêter. Sa fidélité envers la Famille était la seule chose qui pouvait contrecarrer son imprévisibilité, la seule chose sur laquelle on pouvait réellement compter pour l'arrêter lorsqu'il était lancé. Car rien d'autre ne pouvait contrôler Nemo. Mais Adam... Adam était à mes yeux un petit garçon, que je voyais homme aujourd'hui. Homme devant moi pour la première fois. J'étais peut-être la seule à faire la différence entre Adam et Nemo. Les autres n'avaient vus qu'une seule personne, moi j'en voyais deux. Adam était mal. Il souffrait. Je sentais la douleur dans sa voix et dans cet ultimatum qu'il me donnait. C'était forcément Adam qui parlait, Nemo en revanche ne m'aurait pas laissé la moindre chance. Il m'aurait attaqué là, dans cette ruelle, et un seul d'entre nous en serait ressorti debout. Sauf que si Nemo pouvait vivre avec l'idée de m'avoir tué, et si moi je pouvais accepter de tuer Nemo, je savais au fond que je serais incapable de faire du mal à Adam et de continuer ensuite comme s'il ne c'était rien passé. Comme si je n'avais pas tout bonnement effacé une part de mon enfance.

Sentir ses bras autour de moi, et son front contre le mien, m'avait laissé songeuse. Il était si doux... c'était tellement étrange... En souvenir du bon vieux temps, vraiment ? Des flashs de notre enfance me revenaient, des regards complices, des sourires volés. Si peu, en vérité. Il y avait dans ma tête davantage de regards fuyants et de sourires qui s'effacent de son visage lorsqu'il me voyait partager quelque chose avec un autre garçon. Quelques mots acerbes, comme des reproches qui sortaient de sa bouche, ou de la mienne, et puis l'évitement. C'est moi qui avais décidé d'éviter Adam, quand Nemo était devenu trop présent entre nous. Est-ce que Nemo était né par ma faute ? Parce que je n'avais pas su aider Adam ? Etre une amie sincère avec lui ? Je préférais ne pas imaginer avoir enfanter sans le savoir le monstre qui allait me tuer demain. Ce que je ne pouvais accepter, car en moi il y avait la certitude qu'un jour Adam se réveillerait libre, libre de Nemo. Et ce jour là il regretterait tout ce que Nemo avait fait à sa place. Je ne voulais pas que ce jour là il soit seul face à ses remords et à sa conscience. Une petit part de moi voulait être là avec lui, quand ce jour viendrait.

Mais pour l'heure, un autre affrontement que celui d'Adam contre Nemo devait être livré. Ce combat devrait commencer par des mots si je ne voulais pas qu'il se termine dans le sang.

Je refuse de jouer avec toi Adam. Dans ce jeu-là ce n'est pas toi ou moi, ce n'est pas une relation duel qu'il y a entre nous.

Dans cette lutte, ce serait moi contre Nemo. Je n'allais pas lui laisser Adam plus longtemps...

Tu es habité par cet autre... par Nemo. Je n'ai pas oublié Nemo. Tu te trompes si tu crois ne pas exister pour moi. A mes yeux, Adam existe et Nemo est de trop.

Doucement, je pris le manche de ma lame pour la faire glisser hors de son étui. Je m'approchais d'Adam sans geste brusque et posais la pointe au niveau de sa poitrine, sur son cœur. Je trouvais sa main droite et l'obligeait à serrer mon poignet qui tenait l'arme. Ainsi, il n'aurait besoin que d'une demi-seconde pour me désarmer s'il se sentait menacer. Douce ironie, n'importe qui se serait senti menacé avec une pointe de couteau sur le cœur, mais Nemo avait l'instinct du tueur, il devait savoir que je ne le planterais pas juste comme ça. C'était... c'était un peu des préliminaires pour deux tueurs tels que nous. Montrer ses armes avant de les utiliser. Attendre que l'autre soit prêt avant de frapper. Respecter son adversaire en lui laissant le temps de penser à la mort qui va le frapper. Lui laisser le temps de se préparer à cette fin. Inéluctable.

Ce serait tellement plus facile pour toi Adam... Ce serait tellement plus facile, n'est-ce pas, si je décidais de me battre, de me défendre contre... contre Nemo. Parce que c'est Nemo qui doit me tuer, c'est Nemo qui peut me tuer. Adam... Adam ne peut pas.

Je posais mon regard dans celui de Nemo. Tel un défi.

Tu m'entends, Nemo ? m'enquis-je d'une voix pleine de douceur, désarmante.

Tu sais que la Famille laisse toujours une dernière volonté à celui qui la demande.

C'était vrai, mais peu nombreux étaient les cibles qui avaient le temps de la demander. Jouer sur la surprise. Lui rappeler que moi aussi je suis imprévisible.

Dans quelques instants, je vais lâcher mon couteau. Je veux que ce soit Adam qui le prenne. Je veux que ce soit Adam qui me tranche la gorge, là, maintenant. S'il en est capable. Ma dernière volonté Nemo, c'est de mourir comme jamais aucun tueur n'est mort : de la main d'un ami.

En arrivant à Gotham je m'étais promis de ne plus tuer personne. Chaque jour cette promesse me pesait un peu plus mais je voulais mourir en sachant que je ne m'étais pas parjurée. Mieux valait donc mourir maintenant. Ma propre mort ne m'attirait pas plus que ça, pourtant c'était presque comme un soulagement de savoir qu'Adam avait été choisi pour être son envoyé. Je partirais sur un dernier coup de bluff... ou je ne partirais pas. Si j'étais encore en vie après ce soir, je quitterais Gotham et irais mourir en Russie, en tentant de tuer mon père.

Sois rapide, s'il te plaît. murmurais-je

Je posais un baiser sur la joue d'Adam, comme pour lui pardonner à l'avance de ce qu'il allait peut-être faire. Puis je fermais les yeux, essayant de garder un visage calme. Je ne voulais pas voir ce qui se passerait dans le regard d'Adam quand il me tuerait, car à présent une petite part de moi sentait qu'il en serait capable. Et je ne voulais pas que mon regard le hante ce jour où Nemo le laisserait seul avec ses remords et ses regrets.

Sans y penser plus longtemps, mes doigts s'ouvrirent pour laisser échapper ma lame...

Adam fixait Trishka silencieusement, elle lui annonçait refuser de jouer avec lui, il restait silencieux, comment ça elle ne voulait pas ? Alors elle périrait, parce que lui, il n'abandonnerait pas aussi facilement. L'homme n'était pas stupide, il savait qu'elle tenterait de la convaincre de ne pas faire ce dont pourquoi il avait été envoyé. La phrase qui suivait lui fit mal, il ne montrait rien malgré tout, un mur comme d'habitude. Il avait si mal lorsqu'elle lui disait qu'il existait à ses yeux, à cet instant il souhaitait sa mort plus que jamais, il ne voulait pas la croire, il ne voulait pas se faire manipuler par Tirshka, il refusait de croire que sortait de son adorable bouche la vérité. Il se calmait cependant, du moins il mettait de coté cette haine pour plus tard. Il baissait ses yeux azurs vers sa manche d'où dépassait une lame, il ne bougeait pas, elle approchait doucement, il savait qu'elle ne ferait rien, il aurait très bien pu la descendre il y avait quelques secondes, mais il ne l'avait pas fait, et elle ne le ferait pas non plus. Il sentait la pointe de sa lame contre son torse à l'endroit de son coeur, elle pouvait en finir là, se protéger. Mais il ne bougeait pas, il savait qu'il n'était pas question de ça, ce n'était qu'une intimidation qui ne marchait pas entre eux. Elle poursuivait, lui qui d'habitude se montrait si insensible aux propos de ses futures victimes, il la laissait le blesser, elle lui disait qu'Adam n'était pas capable de la tuer, de faire tout ce qu'il avait fait. Nemo ne devait pas exister, mais il était le seul à exister dans ce monde, le seul qui soit son allié. Nemo, ou sa partie obscure, était la seule chose au monde qui puisse vouloir sa survie, qui lui donne une reconnaissance, il ne pouvait se défaire du tueur que la mafia avait fait de lui. Ce n'était pas une question de choix, c'était une question de possibilité. Peut-être que s'il avait eu l'opportunité qu'avait eut Trishka l'aurait-il prit. Finalement non, il serait resté pour elle. Il sentait la main de Trishka chercher la sienne, il se laissait conduire jusque la lame, elle le forçait à tenir lui-même l'arme qui le menaçait, il pouvait s'il le voulait la désarmer en une fraction de seconde, mais il ne faisait rien, il attendait la suite.

Elle défiait Nemo du regard et par ses propros, lui, il restait impassible alors qu'Adam souffrait de la revoir, d'entendre ses mots sortir de sa bouche. Trishka lui demandait alors une dernière volonté, il arquait un sourcil interrogateur puis elle lui expliquait ce qu'elle voulait. Il avalait avec difficulté sa salive, pourquoi est-ce qu'elle lui demandait ça ? Elle voulait qu'il la tue, alors c'était ça ? Trishka ? C'était tout ce qu'elle avait à donner ! Il sombrait dans une pure colère devant ce spectacle affligeant. Il revoyait cette gamine qui le regardait avec curiosité quand il était allongé sur cette civière après l'exécution de sa famille, il revoyait cette gamine qui le regardait passer l'air totalement effrayé et lui, l'air totalement vide. Oui, c'était la première fois qu'il l'avait vu, et quand il s'était réveillé, c'était le seul visage qui lui était revenu à l'esprit. Puis revenait le champ de bataille, revenait ses cadavres qui n'avaient aucun sens à ses yeux, il voyait juste la mort, partout. Pas de vie, il était au milieu de tout ça, et aujourd'hui, il était dans le néant. Puis Adam revenait à lui lorsqu'elle déposait ses lèvres sur sa peau glacée, il la fixait alors qu'elle fermait doucement ses yeux, il la fixait alors qu'elle ne voulait pas affronter la mort. Puis il sentait qu'elle relâchait la pression autour de ses doigts, il tenait désormais seul cette lame contre lui, il la retournait doucement entre ses doigts pour la diriger vers la jeune femme, les secondes paraissaient des heures.

Il y avait une véritable tempête dans sa tête, il était en colère oui. Alors, finalement il explosait. Adam reculait doucement d'un pas, puis deux. Puis enfin il lui donnait un violent coup de pied dans l'estomac la propulsant contre le mur de ce bar à putes. Il la fusillait du regard puis lançait avec force la lame de la jeune femme en sa direction, celle-ci ce plantait dans le mur juste au dessus de sa tête, il se rapprochait d'elle d'un pas décidé et la saisissait à la gorge pour plonger à nouveau ses yeux azurs dans les siens et lui disait d'un ton menaçant « Non, tu n'as pas le droit d'être lâche ! Pas avec moi ! » Oui, il lui interdisait de se livrer à lui, il lui interdisait de faire la victime, elle qui avait tué son coeur, non, elle ne se ferait jamais passer pour une victime à ses yeux, elle était plus que ça, elle était celle qui avait su un jour le rendre stupidement amoureux. Alors non ! Elle n'avait pas le droit de lui refuser ça. Qui parlait à cet instant là ? Nemo ou Adam ? Probablement les deux. Nemo qui aimait s'amuser, jouer avec le feu et la mort. Adam qui était si furieux de ne voir en face de lui qu'une lâche, un homme qui souffrait de ces propos, de rêves qu'elle avait détruit par le passé.

Il serrait ses doigts autour de sa gorge, il ne serrait cependant pas assez pour l'empêcher de respirer totalement. Son autre main était posée sur sa hanche, il la fixait intensément, non, rien de tout cela ne serait jamais arrivé si elle n'était pas partie, elle aurait pu rester, avec lui. Mais elle était un lâche et une traitresse, il ne pouvait pas le lui pardonner, il n'en avait pas le droit. La pardonner serait trahir, se serait être comme elle, il ne voulait pas faire ça, il ne voulait pas être seul pour toujours... Il avait bien trop gouté à la solitude, il vivait dans la solitude, cette non existence ne lui offrait aucune vie sociale concrète, il changeait tout, ses amis, ses conquête, rien n'était stable, tout état si précaire dans sa vie. Alors Adam s'approchait doucement de la jeune femme, il s'en approchait de plus en plus prêt, il sentait désormais son souffle contre son visage, à lui, de mettre en jeu la plus difficile des cartes : la vérité. Une carte que personne ne jouait jamais, mais lui, il allait l'abattre, car c'était maintenant ou jamais... Ses lèvres venaient s'écraser sur celle de la jeune femme, il fermait doucement ses paupières plongeant ses iris bleus dans l'obscurité où il revoyait le visage de la jeune femme. Doucement sa langue venait goutter celle de la jeune femme, ce fut d'abords si doux puis fougueux. Nemo allait trop loin, il n'avait pas le droit de faire ça, probablement que si on les voyait ils se feraient descendre tous les deux, il osait voler un baiser à la fille du parrain, et en plus, il lui laissait la vie sauve il avait refusé de l'abattre...

Adam détachait doucement ses lèvres de celle de la jeune femme, sa langue retournait dans sa bouche alors que sa main était posée à plat sur la clavicule de la jeune femme, il gardait les yeux clos, il ne voulait pas voir sa réaction, il ne voulait pas voir son dégout, il ne voulait pas voir son rejet, puis finalement il ouvrait les yeux sans la regarder, il la fixait comme s'il fixait un mur, il avait cette faculté là, alors il lui disait d'une voix qu'il tentée de garder calme mais celle-ci avait un fond brisé « Tu n'as pas le droit de dire à celui qui a toujours essayé de vivre dans tes yeux qu'il existe pour toi. Qui a toujours essayé d'être celui que tu choisirais et qui t'a vu fuir. Non, tu n'as pas le droit de dire... Que le résultat de la solitude est de trop, tu n'as pas le droit de dire, qu'il est ton ami alors qu'il n'est rien, rien de suffisant pour que tu restes. Tu ne peux pas savoir ce dont il est capable ou non, tu ne le connais pas. Personne ne le connaît, personne n'a envie de le connaitre... » C'était si étrange, il se sentait tellement soulagé de lui avoir enfin avoué ses sentiments, vingt ans plus tard, cela faisait vingt ans qu'ils se connaissaient, et il n'était pas sûr que ses sentiments soient encore valables à ce jour, tout était si confus, il était juste en colère contre elle. L'embrasser n'avait pas sut l'attendrir, il n'y arrivait pas, il lui en voulait parce qu'elle lui disait tout cela bien trop tard, et il se rendait compte qu'il faisait pareil. C'était trop tard. On disait que Nemo ne perdait jamais, et bien si, il s'était perdu.

Puis enfin il plongeait son regard dans celui de la jeune femme, ses iris bleus brillaient de colère et de douleur, mais il soutenait son regard malgré tout puis il ajoutait faiblement, plus comme la demande d'un service, sa dernière volonté à lui, lui, qui n'avait jamais rien demandé à personne dans sa vie, qui avait toujours fait qu'excécuter « Ne refuses pas de jouer avec moi. Qui que je sois, laisse moi être quelqu'un, laisse moi être celui qui te verra mourir ou celui que tu verras mourir. Si je n'ai jamais vécu dans tes yeux, laisse moi mourir dans les tiens ou viens t'éteindre dans les miens. » Oui, c'était une demande spéciale, c'était particulièrement tordu dans le fond, mais il avait renoncé à exister pour elle, il avait accepté de n'être personne à ses yeux et aux yeux de tous. C'était sa vie de ne pas être, il emporterait dans la mort un homme qui n'était jamais né, qui n'avait jamais vécu, qui n'avait jamais rien fait, qui était personne, qui n'était nulle part, juste un nom qu'on oublie parce qu'il n'est pas important. Il avait accepté cette fatalité, alors qu'elle ne fasse pas semblant, il n'avait pas besoin qu'on lui mente, qu'on lui fasse croire qu'il pouvait être autre chose. Alors il concluait sa demande d'un ton plus sûr, celui du tueur qui reprenait ses esprits. « Je te demande d' enfin te vouer corps et âme à moi, pour mourir ou pour tuer. »